Le guide de haute montagne Arthur Sordoillet est tombé amoureux du versant italien du Mont-Blanc, avec ses airs d’Himalaya… Il y a guidé ses clients sur les principaux itinéraires. Il revient ici avec humilité et humour sur les moments forts vécus à l Envers du géant.
Juillet 2024, sommet de la blanche de Peuterey, Bruno a le sourire aux lèvres ! Après quelques doutes de nuit, nous avons pu assister à un magnifique lever de soleil au-dessus de la mer de nuages, les conditions sont excellentes et la vue sur les piliers du Frêney spectaculaire ! Cela fait maintenant une petite dizaine d’années que nous projetons cette belle course, l’arête de Peuterey, les conditions ou nos disponibilités n’ont fait que reporter cette ascension d’année en année…
Deux sommets de plus de 4000m, techniques et d’un accès sauvage : la liste de Bruno s’étoffe. Ce qui était à la base un objectif, gravir les 4000 des Alpes, est devenu un prétexte pour s’immerger en montagne, oublier un temps le monde d en bas, retourner à l essentiel.
J’ai eu la chance de guider mes compagnons-clients sur les principaux itinéraires de ce versant en l espace d une petite dizaine d année : des arêtes interminables, des piliers de protogyne fauve, du mixte d’altitude… Les courses du versant italien du Mont-Blanc ne laissent jamais de marbre. J’apprécie le départ dans les mélèzes, en regardant du coin de l’œil toutes ces aiguilles granitique qui pointent vers le Mont Blanc. À chaque fois je suis intimidé par les distances et la dénivellation qui nous sépare du sommet, mais « chi va piano, va sano e lontano », qui va doucement va loin!
Là plus qu’ailleurs, l’attachement au monde d’en bas se distend le temps d’une ascension. L’incertitude des conditions sur de telles dénivellations conjuguée au peu d information disponible engendre la part d’aventure que nous recherchons. D autant que pour chaque itinéraire, j ai découvert la course. Le contexte parfait pour d’authentiques moments de vie en altitude! Nous comptons uniquement sur nous-mêmes, nos observations, nos analyses, nos estimations, nos atouts et nos points faibles. Nous modulons avec nos émotions: l’inquiétude des aléas, la peur animale d’ un environnement hostile, l’émerveillement face au caractère des lieux, la joie d avoir franchi tel passage, le bonheur fugace du passage au sommet! Ou comment vivre intensément l’ instant présent.
Les nuits, cœur des rêveries troubles
Les nuits à l’envers du Mont Blanc sont toujours marquantes : du confort de Monzino et la chaleur humaine transmise par les très sympathiques gardiens Chiara et Stefano, à la rusticité d’un bivouac à plus de 4000m perchés sur une arête, il y a un monde ! Entre les deux, les fameux demi-tonneaux à l’italienne offrent un abri simple mais appréciable. Les bivouacs Eccles sont bien placés pour tous les itinéraires de la partie haute du Mont Blanc, piliers du Frêney et du Brouillard, Innominata … Le revers de la médaille est la fréquentation, d’autant que le bivouac Eccles du bas ( le plus spacieux) a été éventré par une chute de bloc. C’est l’occasion d’apprendre à collaborer entre équipes d’alpinistes et malgré l’exiguïté des lieux, ça fait chaud au cœur d’arriver à s’entendre si facilement sans se connaître ! « Et voilà une marmite de neige pour qui veut faire de l eau! ». Le bivouac Craveri (ou des Dames Anglaises) est un nid d’aigle Incroyable lové au pied d une paroi déversante. Nous avons eu la chance d’y lézarder seuls durant une longue après-midi de repos, en revanche on n’y trouve que deux couvertures rêches! « Alors tu as apprécié la douche à la neige, Arthur? » . C’est que je tiens à me sentir bien avant d’entamer la suite de l’arête de Peuterey!
Le refuge Borelli (ou de la Noire de Peutetey) est quant à lui confortable et bien aménagé, il était gardé fut un temps où les grandes classiques catalysaient les alpinistes.
Toujours avec Bruno, à la fin d’une longue journée sur l’arête du Brouillard, nous déballons notre petit matériel de bivouac au col Emile Rey, à plus de 4000m. L’ambiance est fraîche en ce mois de septembre, et notre endormissement est rapidement troublé par les lueurs des éclairs qui claquent à l’horizon sur le Grand Paradis… L’idée de redescendre ce qu’on a déjà grimpé avec de la neige est plutôt angoissant, mais heureusement les orages ne viennent pas jusqu’à nous ! Quelle ambiance !
La protogyne fauve à 4000m
Une fois n’est pas coutume en ces lieux, nous partons légers en direction du pilier rouge du Brouillard avec Thibault. Presque débutant en alpinisme, son aisance m’a impressionné l’année dernière, et je souhaite lui faire découvrir les charmes du versant italien du Mont-Blanc. De la grimpe en T-shirt, des louvoiements à décoder entre des vieux spits éloignés, le plaisir de la gestuelle : les « anneaux magiques » est une perle made in Piola! le lendemain, c’est avec un départ de nuit et avec les gros sacs que nous grimpons le pilier Bonington voisin, on se souvient alors de ce qu’est vraiment l’alpinisme ! « Je me donne à fond à chaque longueur » me confie Thibault, qui manifestement sort bien de sa zone de confort!
Sur le bassin du Frêney, c’est au pied de la classique et historique chandelle du Frêney, que je noue avec délectation mon sac à magnésie. Les conditions sont parfaites pour la grimpe en libre et le hissage des sacs va nous permettre d’apprécier la gestuelle à 4500m ! Les pitons en place facilitent la protection, et c’est avec un cri de plaisir que je sors de la cheminée renfougne , dernier passage clé de la chandelle !
Les glaciers ou le chaos givré
S’il y a bien un domaine où l’inconnu est omniprésent, ce sont bien les glaciers… Ils changent d’année en année, et les conditions ne sont jamais gagnées d avance. La montée classique au bivouac Eccles passe par le glacier du Brouillard: rien de très technique mais tracer le cheminement me demande à chaque fois une grande concentration, revenir à un état presque animal pour trouver le meilleur itinéraire. Traversées à optimiser, ponts de neige à négocier, ressauts à grimper… On reste sur le qui-vive quelques heures! Quant à la partie supérieure du même glacier, son plateau s’accède par un passage tourmenté. Petit havre de paix dans ce monde dominé par d’immenses piliers, fermé par une cascade de glace infranchissable à l’aval, juste assez large pour éviter les projectiles en provenance des couloirs… Le court repos mental y est apprécié à sa juste valeur.
Côté glacier du Frêney, le voisin oriental du Brouillard, c’est un sacré challenge de trouver son chemin dans le dédale de crevasse entre la Pointe Croux et la face Ouest de la Noire de Peuterey. Un accès plus classique passe par le col de l´Innominata, où des plaques commémoratives nous rappellent la tragédie du Frêney en 1961. Ce col constituait le dernier obstacle avant le salut lors de la retraite des 7 alpinistes. Seuls 3 le franchiront… La traversée du glacier se fait dans un des cadre parmi les plus sauvage et impressionnant du massif. Il dessert la belle Ratti à la Noire, l accès à Peuterey via Craveri ou encore la reculée Gervasutti à la Gugliermina. Quant au plateau supérieur, il est synonyme pour moi d un chouette moment de repos lancé sur l arête de Peuterey avec Bruno!
Des arêtes interminables
Suite à notre petite sieste, ce n’est pas une partie de plaisir qui nous attend: encore 900 m de dénivellation à tracer jusqu au sommet. La belle journée d hier n’a pas eu complètement l’effet escompté: tasser la neige récente pour limiter le brassage. Coup de théâtre, deux alpinistes descendent à reculons depuis le Mont Blanc de Courmayeur puis se dirigent vers le Grand pilier d’Angle, incroyable mais vrai, la trace est faite!
Au centre du versant se trouve l’Innominata, une course d altitude sérieuse. Je me souviens de la force de volonté de Dan qui subit l’effort exigé par les pentes de neige raides de sortie, à plus de 4500m. Il aura bien mérité son premier Mont Blanc!
Quant à l’arête du Brouillard plus à gauche, le terme interminable est ideal pour la qualifier. Je revois encore le gentil protocole de Bruno à chacun des sommets de 4000 m qui parsèment l arête: vérification du vrai sommet, on grimpe vraiment dessus et si possible on y bâtit un cairn! Quand je vous dit interminable!
A des altitudes plus clémentes se trouve l’arête Sud de la Noire de Peuterey, « une des plus grande escalade du massif » dixit Rébuffat. Et c est vrai qu elle a de la allure depuis Monzino! Après une première ascension chargé des gros sacs de bivouac, j’opte pour la légèreté lors des suivantes : les baskets et zou on galope entre ces tours, brèches et autres ressauts. L’équipement récent de la voie normale de descente en catadioptres, des points reflétant la lumière de la frontale, devraient limiter le nombre de bivouac à la descente…
À moins qu’on ne préfère encore profiter de la magie de ces hauts lieux !








