Ailefroide Occidentale 3954m,face Nord Ouest, voie Devies Gervasutti,1050m, ED- (5+)
Ailefroide : Aile froide! Vue depuis la Bérarde, la face NW de l’Ailefroide, massive et imposante, fait effectivement froid dans le dos!…. La Devies Gervasutti remonte en plein centre la paroi, et constitue un itinéraire historique d’ampleur estampillé Grand Oisans Sauvage! Certains le surnomment la Walker de l’Oisans, ouverte deux ans plus tard, mais il se suffit largement à lui-même : éloignement et engagement, grande ambiance et difficultés variées sont au rendez-vous !
Texte et photos : Arthur Sordoillet
Pour les habitants du Vénéon, l’Ailefroide correspondait en fait à « l’Alpe Froide » située versant Vallouise, et cachée par cette montagne. La face NW se trouve haut perchée dans un vallon reculé et désert, lui conférant une austérité typique des faces Nord de l’Oisans. Elle est constituée d’une multitude de piliers, couloirs et facettes, sur 1km de haut par presque 1km de large ! Giusto Gervasutti trouvait que l’architecture de cette paroi combinait celle de la Civetta et celle des Grandes Jorasses: joli compliment! Il en mena la première ascension en juillet 1936, encordé avec Lucien Devies, malgré une chute matinale en esquivant un bloc morainique déstabilisé : des côtes fracturées et trois dents ébranlées n’eurent pas raison de sa motivation : « Je vais être hors de combat pour de longs jours. Aujourd’hui, je n’aurai qu’à supporter la douleur… Il faut continuer pour que je fasse au moins une course ». Il fallait une sacrée détermination, car même maintenant chaussons aux pieds l’itinéraire est exigeant, notamment les fameuses Dalles Grises : s’y engager sans certitude de sortie ni d’assurage impose le respect au Fortissimo Gervasutti ! Deux jours furent nécessaires à la cordée pour venir à bout de la paroi, la neige et la glace présentes sur la moitié supérieure n’aidant pas les choses. Il est encore aujourd’hui courant d’en être gêné, sauf après une longue période de beau temps chaud. C’est qu’on frise les 4000 m mine de rien, et les vires supérieures gardent bien la neige…
Cette fin août 2015, malgré une semaine de beau temps après une chute de neige, nous attaquons l’itinéraire avec des doutes sur la faisabilité de l’escalade : la neige encore présente sur les vires et dans les cheminées ne va-t’elle pas trop nous gêner, et surtout les Dalles Grises seront-elles suffisamment sèches? Le départ de la voie ne pose pas de problème sur ce plan, c’est plutôt l’obscurité dont il faut s’accommoder pour trouver la bonne attaque. L’esthétique fil du pilier central qui suit est bien sec aussi, et il permet une belle escalade aérienne. Vues du pied, les Dalles Grises semblent exemptes de neige, mais notre ennemi le verglas se révélera bien perfide, difficilement visible et prévisible, et très glissant! Heureusement les coulées de verglas nous laissent un passage, les protections sont bonnes mais espacées. Une petite pensée à Pierre Beghin en tête dans ces mêmes dalles lors de la première hivernale en 5 jours de février 1975 : Pierre montait, râlait, et finalement surmonta les dalles au bout de plusieurs heures de lutte acharnée. Les vires et cheminées qui suivent nous demandent même de mettre les crampons, au moins on ne glisse plus sur le verglas! La cheminée de sortie est démente, raide et surplombant toute la face. Ouf voici enfin le soleil de l’autre côté! C’est là qu’il faut bien avoir anticiper la descente sous peine de perdre beaucoup de temps : plusieurs options sont possibles, toutes longues et nécessitant de la recherche d’itinéraire… C’est le lot de ces grands itinéraires de l’Oisans, et celui-ci en vaut bien la peine!
Un commentaire sur « Récit Gervasutti Ailefroide »